Aurillac - Les 4 vérités théâtrales du Cantal

EnquêteL'artiste Nadège Prugnard a joué la carte de l'immersion pour toucher de sa plume la parole sincère d'un département trop souvent caricaturé.

Matthieu Perrinaud

Nadège Prugnard est une artiste à part. Comédienne, directrice artistique de sa compagnie, Magma Performing Théâtre, elle distille, pièce après pièce, l'antidote au poison de l'apathie d'une société moribonde. Les moutons de Panurge, elle les ventile, les disperse, les invitant à semer la zizanie sur les chemins de traverse plutôt qu'être les suivants de celui qu'ils suivaient. Nadège Prugnard est à part comme son théâtre, un travail aux marges, constamment sur le fil tendu de la désobéissance artistique.

C'est le cas de Putain de route de campagne ! - Les révoltés du pounti, pièce créée en 2010, qui sera notamment jouée le 15 août à Jussac, lors des Préalables du Festival international du théâtre de rue d'Aurillac. Un coup de sabot dans la fourmilière de clichés. Un portrait-robot du Cantal fidèle jusqu'aux cicatrices. Sans jouer les porte-parole ni les saintes-nitouches. Les pieds dans le plat et la main tendue. Avec une rigueur à la croisée de la science et du journalistique.

« Le déclencheur, ça a été la "Lulu", une bistrotière d'Aurillac, une vraie personnalité haute en couleur, originale et gardienne de la mémoire de plusieurs générations. J'ai alors commencé à mener un travail d'enquête sur ces "gueules" du coin. »

À des lieux des images d'Épinal, elle entre dans le vif de ses sujets. « En parlant avec eux, je me suis aperçue qu'il existait des thèmes récurrents, comme le problème de la solitude dans les campagnes, le chômage, la désertification, la politique... »

Chemin faisant sur ce champ des possibles, elle prend acte de la latitude de son sujet. Et de ses dangers, aussi. « J'aurais pu faire ça façon cabaret, ça aurait marché. Mais j'étais allée trop loin dans mes recherches, c'était beaucoup plus intéressant d'élargir le propos. Et il existait un réel besoin d'en finir avec les images trop souvent colportées, toutes ces petites opinions. Ce ne sont pas des péquenauds ! Au contraire, ce sont souvent des poètes. D'ailleurs, beaucoup d'agriculteurs suivent mes ateliers d'écriture. Dans le Cantal, on aime le mot qui claque. »

Et dans Putain de route de campagne !, toutes ces « gueules » se suivent, ne se ressemblent pas et ne se taisent pas non plus. Un bataillon de comédiens armés jusqu'au dedans, jetant les mots à la face du public comme des milliers de balles tirés en plein front, pour triturer les méninges et démettre les idées en places.

« Une meute de loups qui avance de village en village, traverse les intempéries pour questionner la population sur les endroits où ça ment, mais aussi pour raconter le vivant des campagnes. »

De ces dizaines de rencontres, de cette part pas tarte de Cantal à l'état brutal, rural, théâtral, Nadège Prugnard a dessiné les contours d'une pièce de théâtre rageuse et libertaire, qui boit le calice de l'essentiel jusqu'à la lie et pousse l'assaut artistique jusqu'à l'hallali. Nadège Prugnard est une artiste à part. Et salutaire.